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LES CLOCHES D'ABJAT AU SAUT-DU-CHALARD À CHAMPS-ROMAIN

La légende des cloches d'Abjat ou encore de la "Dame de Fargeas", nous parle d'amour, de bataille, de représailles du Roi et... de cloches. Quelle histoire !

Au village de Fargeas (aujourd'hui lieudit d'Abjat-sur-Bandiat), rien loin du pont-de-la-Charelle, habitait autrefois la plus belle jeune fille qu’on pût voir. Cette jolie fille s’appelait « Claire », nom donné parce qu’elle avait la peau si claire que l’on voyait couler le vin dans son gosier lorsqu’elle buvait.

La renommée de sa beauté arriva jusqu’aux oreilles d’un seigneur de Thiviers du nom de Vaucocour. Il vint un jour à cheval, se fit montrer la drôle et la trouva si à son goût qu’il lui proposa de l’emmener sans son château.

Château de Vaucocour

Le seigneur arrivait trop tard. De tous temps, il y eut des filles sages que l’attrait des richesses ne troublait point. Celle-là remercia, en disant qu’elle était promise à un jeune homme d’Abjat qu’elle aimait.

Vaucocour se mit en colère, mais il lui fallut battre en retraite, car les gens de Fargeas le menaçaient de leurs fourches. Le bruit ayant couru que le seigneur allait revenir pour enlever la belle, les habitants d’Abjat et de Fargeas révoltés s’armèrent, tant bien que mal, de faux, haches, fourches et bâtons et attendirent, en se relayant, plusieurs jours et nuits, au croisement des chemins, à mi-côté par-delà le Bandiat.

Un soir donc, la lune éclairait. Ils entendirent des pas de chevaux, puis aperçurent une petite troupe de cavaliers, longeant le chemin. Le jeune promis commanda l’attaque et aux cris de : « Sus aux brigands ! Sus aux voleurs de femmes ! » Il se jeta avec ses hommes sur les arrivants. La bataille fut terrible. On en parle encore aux veillées. Les cris des blessés s’entendirent à des lieux ; les chiens hurlèrent à la mort.  Le combat s’arrêta dès que le seigneur fut étendu raide sur l’herbe ; ses hommes d’armes, qui n’avaient pas subi le même sort, s’enfuirent.

Avant que le jour ne pointa, un trou fut creusé dans le lit du Bandiat ; on y jeta Vaucocour, puis on le recouvrit d’une énorme pierre. « Vaucocour ei sous lu pount dé la Charello inté o deurt et deurmiro d’enquéro !».

 

Le Bandiat,  affluent de la Tardoire et sous-affluent de la Charente

Ces vers font partie d’une complainte que nos anciens chantèrent après le drame, tandis que la jeune fille, cause involontaire de tout ce malheur se couvrit la tête du « moutchadou » noir des veuves. Elle récita des chapelets pour le repos de l’âme de son courageux promis, mort lui aussi dans la bataille.

Mais le roi eu vent de l’affaire. Se révolter contre un puissant seigneur méritait une punition exemplaire. Les rescapés de l’échauffourée, amis de Vaucocour, firent bientôt porter tout le blâme sur les Abjacois. Un jugement condamna tous les suspects à la pendaison ou aux galères. Les marchés furent supprimés et le coquet bourg d’Abjat si prospère connut de sombres années, car les impôts nouveaux furent très lourds.

Abjat-sur-Bandiat aujourd'hui

De nombreux habitants quittèrent ces lieux maudits, se fixèrent à Saint-Saud, à Miallet, à Milhaguet ou dans les environs. Mais partout où ils passaient on les montrait du doigt, comme des « ladres (*1) » et des pestiférés. Enfin le meurtrier du seigneur de Vaucoucour fut écartelé, il s’appelait « Lu piti peï do Rêlé ».

Pour détruire ce nid de révoltés, le roi ordonna l’enlèvement des cloches. Abjat, étant privé du secours du Bon Dieu, disparaîtrait. Mais les cloches ne voulaient pas s’en aller. On eut toutes les peines du monde pour les descendre et les placer sur un chariot. Les routes mauvaises ne facilitaient guère le transport. Quand le convoi arriva au Saut-du-Chalard, l’une d’elles roula et tomba au fond de l’abîme (*2), où un nuage d’écume l’enveloppa de son blanc linceul.

Les Abjacois y allèrent en pèlerinage, se penchèrent sur l’eau mugissante de la cascade en implorant : « Souno ! Souno ! par tous damnas d’Abjat… ». Miracle ! Ils entendirent distinctement la voix pure du bronze, monter des profondeurs du gouffre, s’amplifier et couvrir le grondement du torrent…

Le Saut du Chalard

On dit que l’âme de la belle de Fargeas apparaît, sous forme d’un grand oiseau blanc, dans le clocher d’Abjat muni depuis longtemps de nouvelles cloches. Quant au seigneur de Vaucocour, il a pris la forme d’un énorme « singliant rousseu (*3) », et plus d’un paysan voulant le tuer, a reculé devant ses effroyables sifflements. Il est aussi gros qu’un pieu et se cache dans les broussailles au pont-de-la-Charelle.

  1. Le lépreux jadis était nommé ladre.
  2. La cloche qui est immergée dans le Saut-du-Chalard sonne tous les jeudis-saints vers 14h d’après la légende.
  3. Le « singliant rousseu » est une couleuvre jaune qui siffle d’une manière effrayante. Elle grimpe aux arbres et dévore les oisillons au nid. Elle attaque l’homme qu’elle flagelle de coups, mais elle n’a pas de venin et on ne craint pas sa morsure. D’après la croyance populaire, les âmes des méchants s’en vont après leur mort habiter les « singliants rousseux ».

 

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